Soyez le catalyseur d’un véritable changement en matière d’égalité

  • 15 juillet 2020
  • Vivene Salmon

Soyez le catalyseur d’un véritable changement en matière d’égalité

Je suis assise sur mon balcon, loin au-dessus de la ville, et je regarde le soleil qui disparaît lentement derrière les gratte-ciel de Toronto. Je sirote un grand verre de limonade rose bien fraîche tandis que des lumières féériques commencent à remplir le ciel qui s’obscurcit. La sirène d’une ambulance brise le calme de la soirée puis s’évanouit. C’est l’été dans la Ville-Reine.

Dans ma tête, un million de pensées tourbillonnent. Tant de choses ont changé en seulement quatre mois, depuis que le coronavirus a commencé à se propager dans le monde, chamboulant la stabilité et l’excitation de la vie quotidienne tout en dévastant l’économie mondiale. On dirait que le monde entier est en attente, et l’avenir est incertain.

Entre-temps, le fil de mes réseaux sociaux tourne en boucle continue, se remplissant une heure après l’autre, une minute après l’autre, de nouvelles relatives au mouvement #MoiAussi et à l’exploitation par des hommes puissants de leur position et de leur autorité morale.

Mon cœur se brise en miettes quand j’entends qu’une autre femme autochtone a disparu ou a été assassinée, jetée comme un déchet. Je me demande qui essuie les larmes de sa famille.

Je suis captivée par les détails sordides émergents au sujet d’un réseau international de trafic d’enfants orchestré par Jeffrey Epstein, Ghislaine Maxwell et d’autres gens puissants et privilégiés.<0}

Je grimace d’horreur et de colère en voyant George Floyd, un Américain noir, être assassiné encore et encore devant moi par un agent de police, un agent de l’État, autorisé à servir, à nous protéger. Mais je ne suis pas stupéfaite. Je vois l’évolution du mouvement pour l’égalité qui reprend vie, tandis qu’une nouvelle génération de protestataires descend dans les rues du monde pour contester l’inégalité raciale et affirmer que #BlackLivesMatter.

Tous ces problèmes semblent anciens, énormes et hors de notre contrôle. Bien franchement, j’ai comme vous mes propres problèmes à régler. Sauf que…

Comme membres d’un regroupement de conseillers et conseillères juridiques d’entreprise, nous sommes privilégiés par notre éducation, notre puissance et notre influence relatives et nos réseaux. Nous pouvons être meneurs du changement. D’un vrai changement.

Chacun et chacune d’entre nous avons une voix qui peut exiger, individuellement et collectivement, que des comptes soient rendus et des réponses fournies. Nous pouvons contester l’autorité avec respect, refuser d’être des complices silencieux, examiner nos propres fragilités humaines et essayer d’incarner le changement dont nous souhaitons être témoins. Nous pouvons avoir le courage d’entamer un dialogue honnête et ouvert sur l’inégalité, le racisme, le sexisme, l’orientation sexuelle, les handicaps, les droits linguistiques et plus encore. Et non seulement avoir cette conversation, mais agir aussi à son sujet.

J’espère que je n’ai pas l’air de vous faire la morale. Comme vous, je suis résolument humaine et imparfaite.

Un vers du poème « Le sentier que je n’ai pas emprunté » de Robert Frost me vient à l’esprit : « deux sentiers se séparaient l’un de l’autre dans un bois et j’empruntai le moins fréquenté, et c’est ce qui fit toute la différence ».

Peut-être pouvons-nous nous tenir responsables les uns les autres. Nous pouvons nous respecter les uns les autres, écouter davantage et moins parler. Nous pouvons faire preuve de créativité pour bâtir des associations et des professions juridiques plus inclusives, et une société meilleure. Qui possède de meilleurs outils que les juristes pour mener le changement? Comme conseillers et conseillères juridiques d’entreprise, nous sommes à l’avant-plan pour mener les changements au sein des sociétés du Canada.

L’un de nous, Ken Fredeen, conseiller juridique récemment retraité, joue un rôle clé pour mener le changement et rallier des alliés. Dans un article récemment publié dans le Globe and Mail, il écrit : « Les entreprises canadiennes peuvent mettre l’accent sur quatre éléments clés pour apporter un changement systémique jusque dans les bureaux de la haute direction et les salles du conseil : l’inclusion, l’éducation, l’emploi et l’autonomisation économique. Ces piliers sont en harmonie avec le programme “Progressive Aboriginal Relations” du Conseil canadien pour le commerce autochtone et avec les objectifs de développement durable des Nations Unies. » J’ajouterais également le sentiment d’appartenance et la volonté de partager le pouvoir.

Quels gestes sont posés?

L’ACCJE s’apprête à inaugurer une bourse destinée à un étudiant noir ou autochtone pour son Programme de leadership en entreprise pour les juristes d’entreprise offert en collaboration avec l’École de gestion Rotman. Une bourse pour un étudiant ayant un handicap est déjà offerte en partenariat avec Legal Leaders for Diversity and Inclusion.

L’année dernière, comme présidente de l’Association du Barreau canadien (ABC), j’ai mené le camp de formation en leadership pour les juristes racialisés, qui a réuni des avocats issus de la diversité de partout au pays, créant un espace sécuritaire où ils ont pu discuter des obstacles qu’ils doivent surmonter.

L’ABC a adopté des résolutions, soumis des propositions au gouvernement et travaillé avec lui pour créer des lois. Par ces soumissions, l’ABC a agi comme un défenseur qui décrie la surincarcération des Noirs et des Autochtones dans les prisons du Canada.

Le groupe de travail de l’ABC sur la vérité et la réconciliation relatif aux questions autochtones a fait ses recommandations en 2019 sur les façons dont l’ABC peut promouvoir la mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada. En réponse à ces recommandations, l’ABC a commencé à former son personnel sur la diversité, l’inclusion et les préjugés subconscients, et a créé des programmes en compétences culturelles pour les membres de l’ABC. Le programme de formation « Le Parcours » vise à sensibiliser les participants quant à l’héritage du système de pensionnats autochtones, à appuyer la formation contre le racisme et les préjugés et à rehausser la compétence culturelle en ce qui concerne la collectivité autochtone.

Le forum des avocates de l’ABC a revendiqué des politiques plus inclusives en matière de code vestimentaire pour les avocates du Canada entier dans nos salles d’audience, et nous avons formé des juges sur les questions touchant l’orientation et l’identité sexuelles.

L’ABC offre une série de baladodiffusions qui se sert de différentes voix de la profession juridique pour parler de diversité.

Ce sont là de bons pas dans la bonne direction, que nous devrions applaudir. Nous devons toutefois faire attention de faire tout ce travail pour rendre véritablement inclusive notre profession et pour fournir des occasions égales à tous, non pas pour les apparences.

Le sondage 2020 sur la rémunération et les carrières des conseillers juridiques a révélé de graves problèmes en matière de rémunération dans notre collectivité. Les résultats montrent que les femmes sont toujours moins payées que les hommes pour les mêmes rôles au sein de la profession juridique. L’écart de 11 % demeure le même qu’en 2018 et représente une inégalité importante dans le salaire des avocates et des avocats. Les avocats racialisés font état d’un salaire moyen 12 000 $ en dessous du salaire déclaré par les avocats non racialisés, les avocates racialisées étant encore moins bien payées.

De nombreuses entreprises canadiennes ont produit des énoncés qui condamnent le racisme, plus particulièrement le racisme systémique contre les Noirs. Ces déclarations tombent à plat si aucun geste réel ne vient les appuyer.

Une nouvelle organisation qui a été créée pour propulser le changement est le Canadian Council of Business Leaders Against Anti-Black Systemic Racism, qui a lancé son Initiative BlackNorth (BLN) en juin. Sa mission est d’éliminer les obstacles systémiques qui affectent la vie des Canadiens noirs et des Canadiennes noires. Dans cette optique, il a créé la promesse de l’Initiative BlackNorth pour les PDG, qui demande aux cadres supérieurs du Canada d’engager leurs entreprises à poser des gestes précis et à atteindre des cibles pour mettre fin au racisme systémique contre les Noirs et créer des occasions porteuses de sens pour les groupes sous-représentés dans le monde des affaires. Peut-être pouvons-nous encourager nos organisations à tenir cette promesse.

Il reste bien du travail à faire avant de nous approcher de l’égalité, que ce soit au sein de notre profession ou au sein du système judiciaire dans son ensemble, mais cela ne doit pas nous empêcher d’essayer. D’essayer avec acharnement, avec des données probantes et des cibles claires.

Comme l’a dit l’écrivain James Baldwin, « On ne peut pas changer tout ce que l’on affronte, mais rien ne peut changer tant qu’on ne l’affronte pas ».

Vivene Salmon est présidente de l’Association du Barreau canadien. Elle a l’honneur d’être sa première présidente de couleur et seulement la deuxième conseillère juridique d’entreprise à occuper ce poste. Elle travaille pour Bank of America Merrill Lynch comme vice-présidente et directrice de la conformité des services bancaires et marchés mondiaux pour le Canada.