Réalité virtuelle et spectrification professionnelle : Technologies et outils de gestion des relations

  • 13 décembre 2019
  • Barbara De Dios

Réalité virtuelle et spectrification professionnelle : Technologies et outils de gestion des relations

Milléniale mal informée, je n’ai appris que récemment ce qu’est la « spectrification » (« ghosting » en anglais). Ce terme, qui a gagné en popularité ces dernières années, désigne le retrait d’une relation et la rupture du contact, sans raison apparente. On se volatilise, en quelque sorte, pour se manifester à l’occasion, sans crier gare, souvent par un moyen impersonnel comme le texto ou le courriel.

La technologie même qui nous permet d’établir des relations solides avec nos juristes d’entreprise et nos parties prenantes peut aussi agir comme tampon. Quand la relation n’existe que dans des courriels, des salles de données ou d’autres outils, plusieurs jours s’écoulent parfois sans le moindre appel, sans réponse à un courriel, sans accès à l’interface de gestion – une spectrification professionnelle, quoi.

Bien que les relations avec l’équipe soient facilitées par une multitude de logiciels et de bases de données, ces interfaces permettent l’évitement et la déconnexion, ce qui rend ardu l’établissement d’une bonne cohésion. Il devient donc improductif de considérer la technologie comme un incontournable par opposition à un simple outil opérationnel.

La technologie nous a donné de nombreuses ressources pour bâtir des équipes fonctionnelles, créer des processus organisationnels et gagner en efficience. Toutefois, ce n’est qu’une catégorie d’outils parmi d’autres, dont les stratégies de gestion et de renforcement d’équipe (même lorsque les rencontres en vrai sont impossibles).

Lorsqu’on les combine à une stratégie relationnelle qui va au-delà des systèmes et des interfaces, les moyens technologiques qui permettent la spectrification peuvent être utilisés pour bâtir des relations avec les parties prenantes.

Entamer la conversation

J’ai récemment fait l’erreur de relire des courriels envoyés à des collègues à mes débuts comme juriste d’entreprise. À peine sortie de ma robe de cérémonie d’admission au barreau, j’ai répondu à des questions sur le risque juridique avec tout le sérieux d’une question constitutionnelle grave. Ces longs courriels expliquant la jurisprudence et son application pratique à des questions opérationnelles simples auraient pourtant pu être plus concis – ou, mieux, une simple conversation aurait suffi.

En tant que juristes d’entreprise, nous avons la responsabilité d’évaluer les risques juridiques liés aux activités quotidiennes de l’organisation. Notre valeur provient donc notamment de nos relations avec les parties prenantes, de la fiabilité perçue sur laquelle repose leur confiance professionnelle, ainsi que de l’utilité et du pragmatisme de nos réponses aux questions opérationnelles. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être vus comme des spectres ou des robots.

La technologie puisse être utilisée pour atteindre nos objectifs, mais ce n’est pas le seul outil. En fait, les meilleurs résultats s’obtiennent en combinant la technologie et la bonne vieille conversation. Par exemple, une conversation peut être suivie d’un courriel ou d’un message sur l’interface de groupe. En combinant les outils, vous démontrerez que vous êtes toujours présent pour vos unités opérationnelles et vous serez davantage perçu comme étant fiable et digne de confiance.

Il arrive souvent que les juristes d’entreprise se spectrifient (volontairement ou pas) lorsqu’ils sont surchargés de recherches juridiques et manquent de temps pour écrire même un simple courriel de suivi, ce qui peut créer un malentendu ou être mal interprété.

Combiner la technologie et les outils de conversation permet 1) d’établir des relations solides avec les parties prenantes; 2) de favoriser une conversation bidirectionnelle, permettant des questions-réponses sans la frustration de passer par le courriel ou le texto; et 3) d’éviter l’impression de spectrification professionnelle. Bref, cela renforce les liens et les collaborations au sein de l’organisation.

Maximiser les contacts directs

Le courriel était ma méthode préférée. Je m’y suis tellement fiée que c’est devenu comme un filet de sécurité, un moyen rapide et pratique de faire passer mon message. En effet, dans l’agitation quotidienne, la commodité de la technologie peut éclipser l’importance de cultiver des relations face à face pour établir des rapports harmonieux.

Au sein des organisations d’envergure nationale et internationale, il devient de plus en plus difficile de réunir une équipe physiquement. S’entretenir face à face avec les parties prenantes locales est déjà compliqué et la distance géographique ne fait qu’ajouter à cette difficulté. Les textos et courriels deviennent alors de plus en plus tentants.

Dans un tel contexte, la spectrification professionnelle peut s’épanouir et les silences radio se multiplient. Alors, comment favoriser la cohésion quand l’obstacle est géographique?

La technologie peut être utilisée pour établir une relation face à face. Zoom, par exemple, est une interface de visioconférence que j’utilise avec mes collègues géographiquement éloignés. Le face-à-face, réel ou virtuel, favorise la responsabilisation et peut s’avérer très utile pour renforcer la relation d’équipe et créer une visibilité interfonctionnelle.

La visioconférence est aussi préférable à la téléconférence, ce dernier permettant à n’importe quel participant de se spectrifier en cachette et de naviguer sur Internet ou de faire d’autres tâches, tandis que le face-à-face force à être présent pendant les conversations professionnelles.

Gérer les relations virtuelles

Parce que les horaires flexibles, le travail à distance et les équipes opérationnelles pancanadiennes et internationales gagnent en popularité, il peut s’avérer difficile, malgré toute votre bonne volonté, de gérer efficacement les rapports, la responsabilisation et la cohésion de l’équipe.

Lorsque le temps manque, un système de gestion de groupes tel que Slack est un allié efficace et précieux. Les bases de données partagées sont également utiles pour échanger des idées, télécharger des fichiers, transmettre des mises à jour et demander des interventions. Toutefois, se limiter aux moyens technologiques favorise une unidimensionnalité des rapports qui offre bien peu d’occasions de découvrir les forces et les faiblesses réelles de l’équipe.

Les face-à-face en personne ou virtuels, les entretiens et les conversations permettent de consolider les relations, de responsabiliser davantage et d’améliorer la cohésion. Ils permettent de créer un équilibre entre le contact humain et la technologie.

Les observations qui se font dans un face-à-face ou une conversation permettent également de découvrir des dynamiques et des tensions d’équipe qui ne sont pas apparentes dans l’écrit. Il importe donc de ne pas perdre ce lien humain sous prétexte que des technologies intelligentes sont utilisées.

Être victime de spectrification professionnelle n’est pas agréable. Cela incite à douter de la fiabilité, de l’efficacité et de la cohésion globale de nos relations. Dans le contexte de l’établissement et de la gestion des relations en particulier, il est tout à fait improductif de négliger le contact humain avec l’équipe et les principales parties prenantes.

Bien que la technologie évolue constamment pour soutenir l’efficacité opérationnelle, songez à développer le rapport et la relation simultanément, en faisant appel à diverses méthodes de communication. La sirène de la spectrification chantera toujours, mais vous pourrez la faire taire en combinant la technologie et l’interaction humaine.

Barbara De Dios est conseillère juridique d'entreprise au sein de Canadian Dental Services Corporation. Communiquez avec elle à bdedios@cdscorp.ca.