Le pouvoir du peuple

  • 13 mars 2019
  • Patricia Osoko

Le pouvoir du peuple

L’indignation populaire face à la corruption bouleverse les systèmes politiques traditionnels et des dirigeants antiestablishment sont élus un peu partout à travers le monde. Bien que nous soyons quelque peu à l’abri de cette tendance au Canada, la lutte contre la corruption est devenue un puissant moteur de changement dans des régions telles que l’Amérique latine et l’Asie du Sud, où l’instabilité économique, les inégalités et la violence ont eu des conséquences dévastatrices. Les gens recherchent des leaders qui font preuve d'une honnêteté et d'une intégrité égale à la leur. La tendance se propage aussi au monde des affaires. En tant que conseillers juridiques internes, nous faisons figure de boussole morale au sein de nos organisations. Nous devons être préparés.

J’ai récemment accepté un poste au Mexique, où je suis témoin de la mise en œuvre de politiques anticorruption mise en œuvre par le président Andrés Manuel López Obrador, connu comme « AMLO » dans le pays. Ce leader de gauche du parti Morena est très populaire au Mexique et a promis de combattre le pouvoir de l’élite politique et du monde des affaires, déstabilisant les marchés et les investissements.

Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2018, il a mis en pratique ses visées anticorruption et antiestablishment. L’un des premiers gestes de son gouvernement a été de fermer plusieurs oléoducs importants desquels le pétrole était siphonné et vendu sur le marché noir. Il a été allégué que le vol était facilité par de hauts dirigeants de Pemex, une entreprise énergétique affiliée à l’État, qui fournit la majorité du carburant aux stations-service mexicaines.

Ces efforts ont causé des semaines de pénuries, qui ont eu des impacts majeurs sur la vie quotidienne. En janvier, par exemple, certains de mes collègues devaient se lever pendant la nuit pour faire le plein ou risquer de devoir attendre trois ou quatre heures à la pompe. Les chaînes d'approvisionnement ont aussi été temporairement perturbées, car il devenait difficile de transporter des marchandises à travers le pays.

Mais malgré les inconvénients et les perturbations économiques à court terme, les pénuries de carburant n’ont pas coûté de soutien populaire au président. Pas une seule personne à qui j’ai parlé ne s’est plainte des actions du gouvernement. La plupart étaient plus préoccupés par les décennies de dommages financiers causés par les vols de carburant, qui ont couté des milliards de dollars au cours des années.

Réparer le système

Cette lutte contre le vol de carburant est largement considérée comme une étape nécessaire sur la route vers l’égalité. Lorsque tout le monde respecte les droits de propriété et de distribution, la société peut fonctionner de manière équitable, ouverte et progressiste. Les gens sont à juste titre indignés lorsque le processus judiciaire est corrompu au profit d’une minorité, tandis que la majorité de la population est privée de services de base.

Face à une telle corruption, il est encourageant de voir les gens défendre ce qui est juste, malgré la douleur et la frustration à court terme. Leur sens personnel d’honnêteté et d’intégrité est utilisé comme une arme puissante pour lutter contre un régime à la pourriture bien enracinée.

On peut comparer les mesures prises par le gouvernement mexicain aux stratégies du gouvernement indien pour mettre fin à la corruption systémique. Il y a cinq ans, Narendra Modi est devenu premier ministre au terme d'une campagne dans laquelle il s'était engagé à nettoyer le système. Le gouvernement indien a mis en place diverses mesures, dont la démonétisation pour faire obstacle au blanchiment d’argent. Il reste à voir si ces mesures seront efficaces; mais elles semblent donner au citoyen moyen l’espoir que les choses s’amélioreront.

De l’espoir

Ces attitudes me rendent optimiste quant au fait que l'honnêteté et l'intégrité sont enracinées dans la psyché générale des économies émergentes. Les gens ne veulent plus fermer les yeux sur les irrégularités financières et juridiques commises par les représentants du gouvernement. Mais qu'en est-il des actions des entreprises? Une fois que les citoyens seront convaincus que leurs gouvernements fonctionnent avec intégrité, le projecteur se tournera inévitablement vers elles.

Alors que les organisations canadiennes continuent de se mondialiser, nous devons y accorder une attention particulière. Nous devons nous assurer de mettre en œuvre les meilleures pratiques en matière de conformité et de responsabilité sociale des entreprises, en particulier dans les marchés émergents, où ces valeurs gagnent en importance dans la vie publique.

En particulier, les entreprises doivent être à l'écoute des tendances populaires et se rendre compte que le pouvoir économique implique la responsabilité d'agir avec honnêteté et intégrité. Le fait de ne pas reconnaître l’importance de l’intégrité détruit la réputation de nombreuses grandes entreprises actives dans le monde entier, de Facebook dans le secteur des technologies à Nissan dans celui de l’automobile. Comme en politique, l'opinion publique s'oriente fortement vers la promotion de l'intégrité des entreprises – une tendance sur laquelle nous devrions miser en tant que conseillers juridiques internes.

Reconnaître le pouvoir des employés

Les entreprises ne fonctionnent pas en vase clos; elles exercent leurs activités par les actions de leurs employés. Comme les citoyens au Mexique et en Inde, la plupart des employés sont honnêtes et veulent faire ce qui est juste. N’est-il pas temps de tirer parti de cette intégrité inhérente aux organisations?

Les politiques internes des organisations, par exemple, ont tendance à adopter un ton prohibitif ou restrictif. Comment pouvons-nous élaborer des politiques qui maintiennent des fondements cohérents tout en permettant aux employés de démontrer leur intégrité?

Récemment, j’ai dirigé une initiative visant à réviser le code de conduite de notre société, partant de l’hypothèse que tous nos employés prendront les bonnes décisions lorsque l’occasion se présente. Nous avons aussi supposé qu'ils souhaiteraient obtenir des conseils sur les situations délicates auxquelles ils sont confrontés. Nous avons élaboré une série d'énoncés de politique liés à nos valeurs d'entreprise, ainsi que des exemples de situations délicates.

J'aime dire que le code peut être décomposé en principes simples: « Ne mentez pas, ne trichez pas, ne volez pas et prenez les meilleures décisions possible. En cas de problème, parlez-en à un superviseur, à un responsable ou à un responsable de la conformité. Pas de surprises ». Bref, droit au but et pertinent, ce nouveau code est très différent du précédent et il est beaucoup plus utile.

Nous devrions chercher à rendre toutes les stratégies et tous les messages de l'entreprise également accessibles. Nous voulons fournir des outils et des conseils utiles à nos employés, qui sont dotés du désir d’être honnête et qui agissent avec intégrité. Nous voulons partager comment, en tant qu’entreprises, nous menons nos affaires de manière réfléchie et équitable.

En déplaçant la conversation, je pense que nous, comme les citoyens du Mexique et de l’Inde, pouvons aspirer à un avenir où la corruption est une aberration et où chacun a un rôle à jouer pour que les bons gestes soient posés.

Note : Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et non celles de son employeur.

Patricia Osoko est directrice des Affaires juridiques au sein de ATCO México. Trouvez-elle sur LinkedIn.